Entendre ce chauffeur de bus ottavien parler de Didier Drogba comme s’il était plus ivoirien que moi, m’a rendu jaloux puis fier. Il a refait le palmarès de l’ancien capitaine des Éléphants de Côte d’Ivoire.

Je ne m'attendais pas à tomber sur un fan de Drogba qui plus est chauffeur de bus à Ottawa. Le double ballon d'or africain a certes fait quelques piges à l’Impact de Montréal, club de football situé à deux heures de route seulement d’Ottawa, avant de prendre sa retraite, mais il n’était pas évident de rencontrer ses fans dans la capitale du Canada.

Depuis mon arrivée en ville, j’avais plusieurs fois évoqué ce nom pour m'identifier et ainsi situer mon pays sur la carte du monde, en vain. Chose normale puisque le sport roi au Canada, c’est le hockey sur glace et non le football.

Il fallait donc effectuer le voyage jusqu’à Montréal pour trouver quelques fans de l'icône ivoirienne. C’est en tout cas ce que je me disais jusqu’à ce que je tombe sur ce chauffeur de bus de la société OC Transpo, un mercredi après-midi.

Il pleuvait ce jour-là. Je devais prendre le bus depuis l’avenue Carling merivale d’Ottawa pour me rendre à Gatineau. Mon "map" indiquait qu’il fallait prendre trois numéros différents, le 85, le 8 puis le 34 pour arriver à destination. J’ai pris le 85 puis j’ai attendu le 8 sous la pluie. J'ai eu du mal à m'abriter, l'arrêt n’étant pas couvert.

Heureusement, 10 minutes plus tard, le bus numéro 8 pointe son nez. Je monte rapidement pour me mettre au chaud et constate que je suis le premier passager à bord. Le chauffeur me regarde, sourit et engage la conversation. C'est la première fois qu’un chauffeur de bus ottavien discute avec moi.

Il me parle en anglais. Je saisis quelques mots notamment cette question : where do you come from ? Je réponds tout de suite, Côte d’Ivoire et déchaîne aussitôt inconsciemment, une passion phénoménale chez cet homme qui est en réalité, un fan de Didier Drogba.

"Oh, tu viens du pays de Didier Drogba ? It’s amazing !" C’est extraordinaire, me dit-il. Il me confie qu’il est un grand fan du buteur ivoirien et qu’il a suivi tous ses matchs depuis 2006. Il me raconte son histoire d’amour avec Drogba.

Le match qui a tout déclenché

Mon nouvel ami parle en anglais et bidouille un peu le français. Mais aucun problème pour moi, car je venais d’activer le logiciel de traduction naturelle de mon ouïe. Parlez d’une icône ivoirienne dans n'importe quelle langue, même en chinois, et je saurais la déchiffrer.

Ma fierté, d'appartenir à ce pays d’Afrique de l'Ouest, augmente considérablement ma capacité à comprendre plusieurs langues. Croyez-le ou non ! Je pouvais donc comprendre l'essentiel du récit de mon interlocuteur. Il m'explique que supporter de Liverpool autrefois, il pariait régulièrement quelques dollars sur son club. C’est ce qu’il a fait un soir du 17 septembre 2006.

Confiant que tout se passerait bien ce jour-là, il avait misé 100 CAD sur la victoire de Liverpool face à Chelsea. Mais à la 42e minute de jeu et contre toute attente, un joueur de race noire, avait réussi un geste extraordinaire aux abords de la surface de réparation des Reds.

Sur un centre venu de la gauche, il avait amorti le ballon en l’orientant sur son côté droit avant de déclencher une frappe puissante et soudaine dans la lucarne. Le portier ne pouvait rien. Chelsea venait de prendre l’avantage et lui, ne comprenait pas ce qu’il venait de se passer.

Mon chauffeur de bus me confie qu’il a été impressionné par ce but et a donc décidé d’en apprendre un peu plus sur ce joueur. Il découvre que celui qui vient de lui faire perdre 100 CAD dans un pari, s'appelle Didier Drogba, il vient de Marseille et est originaire d’un petit pays d’Afrique, la Côte d’Ivoire.

Il gagne de l’argent grâce à Drogba.

Il m’a fallu quelques minutes pour me souvenir de ce match. Je l’avais suivi en direct à l’époque, mais n’en avais plus bonne mémoire. J’ai retrouvé le lien sur YouTube : Chelsea-Liverpool, 17 septembre 2006, 5e journée du championnat d’Angleterre. 1-0 pour Chelsea, but de Didier Drogba.

Le chauffeur continuait de propager sa passion du football à travers Didier Drogba dans le bus. Il s’arrêtait, ouvrait la portière pour laisser monter d'autres passagers, puis reprenait la conversation. J’étais là, debout près de sa vitre de sécurité, à l’écouter, moi l’Ivoirien dont le "frère" lui avait tant ravi le cœur.

Il raconte que c’est depuis ce jour qu’il a commencé à parier sur Chelsea et notamment des buts de Didier Drogba à chaque rencontre de Premier League. Il s’est fait des milliers de dollars et a donc très vite oublié ce qu’il avait perdu.

Ce fan de Didier Drogba dit avoir suivi tous ses transferts, en Chine, en Turquie puis au Canada. À cette période, il vivait à Toronto, mais effectuait régulièrement le trajet pour suivre les matchs de son idole, soit 8h de route environ. Il avoue que son seul regret, c’est de n’avoir jamais réussi à prendre une photo avec Drogba.

Il a essayé de l’approcher plusieurs fois après des matchs, en vain m’a-t-il confié, avant de me poser une dernière question : are you and Drogba close ? Je réponds : yes, of course ! Il m’a demandé si je suis un proche de Didier Drogba, et j'ai répondu, oui bien sûr !

Non, je n’ai pas menti. Je pense avoir gagné le droit d’être proche de Didier Drogba même si on ne s’est jamais rencontré en vrai. J’ai moi aussi suivi son parcours depuis Guingamp jusqu'à Chelsea en passant par Marseille. Il nous a tous rendus fiers d’être ivoiriens.

Je fais même partie de ceux qui ont soutenu sa candidature à la Fédération ivoirienne de football (FIF). Oui, nous sommes proches, ai-je répété à l’homme au volant du bus avant d’indiquer mon arrêt. Il m’a souri et m'a encore exprimé sa fierté d’avoir rencontré un Ivoirien qui plus est, frère de Didier Drogba.